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Stu Redman
crevait de peur.
Il regardait derrière les
barreaux de la fenêtre de sa nouvelle chambre, dans l’État du Vermont. Une
petite ville, très loin en contrebas, l’enseigne minuscule d’une station-service,
une usine, une rivière, l’autoroute et, derrière l’autoroute, les croupes de
granit de l’extrême ouest de la Nouvelle-Angleterre – les Montagnes vertes.
Il crevait de peur, car cette
chambre d’hôpital ressemblait plutôt à une cellule. Il crevait de peur, car
Denninger n’était plus là. Il ne l’avait plus revu depuis que le grand cirque
avait quitté Atlanta pour s’installer ici. Deitz n’était plus là lui non plus. Denninger
et Deitz étaient sans doute malades, peut-être déjà morts.
Quelqu’un avait fait une connerie
quelque part. Ou bien la maladie que Charles D. Campion avait apportée à
Arnette était beaucoup plus contagieuse qu’on ne l’avait crue. De toute façon, il
était clair que le dispositif de sécurité du Centre épidémiologique d’Atlanta
avait craqué. Tous ceux qui s’étaient trouvés là-bas étaient sans doute en
train d’étudier d’un peu plus près qu’il n’aurait été souhaitable ce virus qu’ils
appelaient A-Prime, le virus de la super-grippe.
Ils lui faisaient encore subir
des examens, mais apparemment au petit bonheur la chance. Pour les horaires, n’importe
quoi. On gribouillait les résultats, mais Stu était presque sûr que celui qui
les lisait n’y jetait qu’un coup d’œil, secouait la tête et jetait tout le
bazar dans sa corbeille à papier.
Pourtant, ce n’était pas ça le
pire. Le pire, c’étaient les armes. Les infirmières qui venaient lui faire une
prise de sang, prendre sa crache ou son urine étaient maintenant toujours
accompagnées d’un soldat en combinaison blanche. Et le soldat était armé d’un
revolver enveloppé dans un sac de plastique. Un 45 de l’armée. Stu ne doutait
pas que s’il avait essayé de jouer au petit malin, comme avec Deitz, le 45 aurait
fait voler le sac de plastique en lambeaux. Un peu de fumée, et tout droit pour
le pays des ancêtres.
S’ils ne se donnaient plus la
peine de sauver les apparences, c’était que sa peau ne valait plus grand-chose.
Être derrière des barreaux, ce n’est déjà pas très drôle. Mais derrière des
barreaux quand votre peau ne vaut plus rien… ça, c’est vraiment pas rigolo.
Il suivait maintenant avec
beaucoup d’attention le journal télévisé de six heures, tous les jours. On
avait exécuté les auteurs de la tentative de coup d’État en Inde, des « agitateurs
étrangers ». La police recherchait encore la ou les personnes qui avaient
fait sauter la centrale de Laramie, dans le Wyoming, la veille. La Cour suprême
avait décidé par six voix contre trois que les homosexuels déclarés ne pouvaient
être expulsés de la fonction publique. Et, pour la première fois, on commençait
à parler de certaines autres choses.
À Miller County, dans l’Arkansas,
le porte-parole de la Commission de l’Énergie atomique avait formellement
démenti qu’il y ait eu risque de fusion du réacteur de la centrale atomique de
Fouke, une petite ville située à une cinquantaine de kilomètres de la frontière
du Texas. La centrale avait eu quelques problèmes mineurs avec les circuits de
refroidissement du réacteur, mais il n’y avait aucune raison de s’alarmer. Les
unités de l’armée qui se trouvaient dans le secteur n’étaient là qu’à titre de
précaution. Stu se demandait quelles précautions l’armée pourrait bien prendre
si le réacteur de Fouke décidait de fondre pour de bon. Et il pensait que, si l’armée
s’était installée dans le sud-ouest de l’Arkansas, c’était peut-être pour une
tout autre raison. Fouke n’était pas si loin d’Arnette.
Une autre nouvelle encore. Une
épidémie de grippe semblait s’être déclarée sur la côte est – la souche russe, rien
de bien inquiétant, sauf pour les très âgés et les très jeunes. Un médecin
fatigué était interviewé dans un couloir de l’hôpital de la Pitié, à Brooklyn. Une
grippe exceptionnellement tenace pour la souche Russe-A, expliquait le médecin
qui invitait les téléspectateurs à se faire vacciner. Puis il avait commencé à
dire autre chose, mais le son avait été coupé et l’on voyait seulement ses
lèvres bouger. Retour au studio où le présentateur disait : « Il semblerait
que cette épidémie de grippe ait causé plusieurs décès à New York, mais les experts
s’interrogent sur le rôle qu’ont pu jouer d’autres facteurs comme la pollution,
et même peut-être le virus du sida. Le ministère de la Santé précise qu’il s’agit
de la grippe Russe-A, et non de la grippe porcine, plus dangereuse. Quoi qu’il
en soit les médecins recommandent les mesures habituelles : garder le lit,
se reposer, boire beaucoup, prendre de l’aspirine pour faire baisser la fièvre. »
Le présentateur souriait, rassurant…
et quelque part, hors du champ de la caméra, quelqu’un éternua.
Le soleil commençait à
disparaître. Le ciel flamboyait à l’horizon. Il allait bientôt virer au rouge, puis
à l’orange. Les nuits étaient particulièrement difficiles pour Stu. On l’avait
emmené en avion dans ce coin de pays qu’il ne connaissait pas du tout, un coin
qui lui était encore plus étranger la nuit, allez donc savoir pourquoi. C’était
le début de l’été, et tout ce vert qu’il voyait de sa fenêtre lui paraissait un
peu anormal, excessif, terrifiant même. Il n’avait pas d’amis ; à sa
connaissance, tous ceux qui avaient fait le voyage avec lui en avion, de
Braintree à Atlanta, étaient morts aujourd’hui. Il était entouré d’automates
qui lui faisaient des prises de sang en braquant sur lui un revolver. Il avait
peur de mourir, même s’il se sentait en pleine forme. Et il commençait à croire
qu’il n’allait pas attraper cette chose-là.
Stu se demandait s’il n’y aurait
pas un moyen de s’échapper de cet endroit.